Quand Hippocrate rencontre Bolivar

« Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires »

Article 25 de la Déclaration Universelle des Droits de l Homme et du Citoyen.
51 ans… Il a fallu attendre tant de temps pour que l’évidence morale énoncée dans la déclaration de 1948 devienne effective au Venezuela. La Constitution de 1999 indique dans son article 84 : « La santé est un droit social fondamental, obligation de L’État, qui le garantit comme partie du droit à la vie. L’État initiera et développera des politiques orientées de nature à élever la qualité de la vie, le bien être collectif et l’accès aux services. Toutes les personnes ont droit à la protection de la santé, ainsi que le devoir de participer activement à sa promotion et à sa défense, et celui de satisfaire les mesures sanitaires et d’assainissement que la loi établit, en conformité avec les traités et conventions internationales souscrits et ratifiés par la République… »
Comme souvent suite à des années de négation des droits élémentaires et à la péréclitation du système de santé, il a fallu innover pour garantir à tous ce nouveau droit constitutionnel
En Juillet 2003, est née, d’un accord bilatéral entre Cuba et le Venezuela, le Plan Barrio Adentro, dont le but est d’implanter une médecine de proximité au cœur des quartiers populaires.
Un « appel d’offre » avait préalablement été lancé à tous les médecins Vénézuéliens mais peu d’entre eux ont répondu positivement à l’invitation du gouvernement à s’installer dans les quartiers populaires. Devant le manque d’enthousiasme des médecins Vénézuéliens à sauver leurs compatriotes, l’absence fut comblée par des médecins Cubains. Le Venezuela bolivarien n’est pas le premier et seul pays où Cuba contribue au développement du système de santé. Pourtant, l’opposition au gouvernement, comme pour la Mission Robinsón, a attiré l’attention du monde entier sur la « castrisation » du pays de Bolivar.
Deux ans après le lancement de cette mission, les effets sont biens réels parmi ceux qui vivent tout en haut de la colline du quartier Alta Gracia. Au pied de la butte, le gouvernement a construit un « module de santé », petit bâtiment de deux étages où se déroulent les consultations.
Les médecins sont logés bénévolement par des personnes du quartier. En haut d Alta Gracia, elle s’est installée chez Maria Antonia et son époux. Ici il n y a pas de module faute de place. Le dispensaire est donc situé dans une pièce du petit appartement où vit le couple et la cubaine. Au cours de la matinée, les consultations sont données en ce lieu, l’après midi le médecin part visiter les personnes invalides chez elles.
America Velasquez fait partie du comité de santé, elle prend sur son temps libre pour aider son docteur et développer la communication autour du dispensaire conformément à son devoir constitutionnel. « Il y a encore des gens qui hésitent à venir, à cause des promesses non tenues des gouvernements antérieurs, pourtant cela n’a rien à voir. Aujourd hui, nous bénéficions d’une véritable médecine de proximité et gratuite, même les médicaments sont gratuits grâce à un accord entre notre gouvernement et Cuba. Tu vois mes lunettes de vue, et bien c’est grâce au médecin cubain que je les ai obtenues et que je peux continuer à lire. »
America suit depuis le 25 mai 2005 des cours pour devenir infirmière. Comme beaucoup de ses compatriotes qui sont partis sur l’île caribéenne pour étudier la médecine, elle prépare la relève des médecins cubains dont la présence n’est que temporaire.
Au dehors de l’appartement, quelques personnes se relayent pour profiter de cette nouvelle conquête sociale. « Dans notre comité, nous dit America, il y a deux personnes qui sont escualidas , eh bien je peux t’assurer que ce sont elles qui collaborent le plus. » Ici, il n’y a plus de couleur politique, il n’y a que la pauvreté et la joie de bénéficier de la présence médicale.
Cette femme est venue chercher une plaquette de contraceptifs, donnés gratuitement comme le reste des médicaments. Dans ce cas, effet collatéral d’un système de santé progressiste, Barrio Adentro représente aussi une conquête sur le plan des droits des femmes ainsi qu’une véritable victoire sur une natalité galopante condamnant bien des enfants à vivre en situation d’indigence.
« Cela s’inscrit dans un aspect plus vaste de planification familiale », nous explique, pleine de grâce, Roxana, la doctoresse d’Alta Gracia. Il s’agit en fait d’un véritable suivi de la mère et de son enfant. L’implantation dans le pays, à travers Barrio Adentro, d’un médecin pour 250 familles favorise un contact privilégié avec le patient et son entourage. Forte de ce lien, Roxana éduque en même temps qu’elle soigne. « Tu as vu, il y a de l’eau stagnante en contrebas, c’est plein de moustiques qui peuvent provoquer la dengue , j’explique aux enfants pourquoi il ne faut pas aller jouer par là. » A leurs mamans, elle enseigne les bases d’une nutrition saine.
La prévention est mère de toutes les guérisons, et dans le quartier, cette partie du travail de Roxana porte ces fruits.
Henrique est, comme beaucoup, venu chercher des médicaments. Henrique est un noble vieillard de 88 ans, comme il nous le dit, il a vu beaucoup de choses changer dans son pays depuis 1917, sa conclusion est sans appel : « Le système de santé est bien meilleur qu’avant, gracias a dios et à notre Président. Mais ce n’est pas encore parfait, lorsque l’on doit aller à l hôpital pour des cas plus graves qui ne se traitent pas ici, certains médecins traditionnels ne veulent pas accepter les ordonnances des médecins cubains ».
Pour les cas dont parle Henrique, les patients disposent maintenant, dans le cadre de Barrio Adentro II, de nouvelles cliniques, construites dans l’objectif d’un développement endogène du pays ; ou encore de l Hôpital de l armée que les militaires vénézuéliens ont ouverts à leurs compatriotes les plus déshérités.
En ce qui concerne la réaction des médecins d’opposition, ce racisme de classe, mêlé à une haine du peuple, nous aide à mesurer l’impact de ce Plan. Sans lui, on continuerait encore longtemps, de mourir en silence sur les collines qui entourent Caracas.