Cherche opposition démocratique de toute urgence

Parler de l´opposition au processus socialiste en cours au Venezuela nous oblige en premier lieu à la définir. Du point de vue politique, cette opposition reste largement hétérogène. Elle regroupe des petits partis venant de la mouvance de gauche (1) , des partis sociaux-libéraux (2) , et bien sur, l´éventail de la droite vénézuélienne, de la démocratie chrétienne aux héritiers des Chicago Boys (3) . L´union de ces partis d´opposition est stratégique ou idéologique. Au fil des années, ils ont tout de même su amoindrir leurs différences afin de conquérir de nouveaux espaces électoraux.
Cependant, l´opposition antichaviste doit être compris au delà du champ strictement politique. Les sphères médiatiques et économiques sont des acteurs à part entière de la droite vénézuélienne. Depuis le discrédit du politique, au milieu des années 80, les média ont eu tendance à occuper le rôle traditionnel des partis. Cette fonction perdure encore aujourd´hui. En ce qui concerne la sphère économique, il est bon de rappeler que le coup d´Etat d´avril 2002 avait porté au pouvoir le président de l´organisation patronale Fedecamaras et non un homme issu du sérail politique.
En effet, même si ces champs sont imbriqués, et que certains acteurs évoluent librement en leur sein, ils restent néanmoins autonomes. L´influence de l´un sur l´autre détermine les stratégies de l´opposition, et ses alliances au fil du temps. Si l´on pouvait noter, il y a quelques années, une prépondérance des champs médiatiques et économiques au sein de l´opposition vénézuélienne, le rapport de force avec le pouvoir, et l´échec du lock-out de 2003, tout comme la non-rénovation de la concession hertzienne a la chaîne RCTV en 2007, furent les prémisses du retour actuel du champ politique au premier plan.
Pour compléter ce tableau, il convient de mentionner le financement incessant de l´opposition vénézuélienne en provenance de l´étranger, notamment par des agences étatsuniennes comme la NED et la Usaid.
Des stratégies putschistes à l´acceptation de la joute électorale
Au cours des premières années du chavisme, l´opposition a eu recours à une confrontation frontale sans se soucier des principes élémentaires de la démocratie. Du coup d´Etat au boycott des élections parlementaires de décembre 2005 en passant par le sabotage de l´industrie pétrolière ou le lock-out des principales entreprises et industries, tout les moyens furent utilisés pour mettre un terme au mandat d´Hugo Chávez.
Depuis l´élection présidentielle de 2006, l´opposition semble avoir admise que la seule solution pour tenter de contrer les aspirations populaires est la voie électorale. Adopte-t-elle, pour autant,  un comportement démocratique?
Les tactiques employées par celle-ci pour tenter d´influer les électeurs lors de campagnes électorales semblent bien éloignées de cette préoccupation. Lors du referendum de 2007 sur la réforme de la Constitution, le patronat vénézuélien avait organisé un blocus planifié des aliments  du panier de la ménagère afin que le mécontentement orchestré se retranscrive dans les urnes. D´autre part, les rumeurs médiatico-politiques fusent à chaque campagne électorale : « si Chávez gagne, l´Etat va te prendre tes enfants, ton commerce, ton appartement… ». Ces ragots sans fondement flirtent avec un anticommunisme primaire, mais ont parfois leurs effets escomptés.  
Lors de l´élection présidentielle de 2012, le journaliste Ernesto Villegas (4)  a dénoncé qu´un accord avait été passé entre le magnat mexicain des télécommunications, Carlos Slim, et l´opposition vénézuélienne. Les vénézuéliens eurent la surprise de recevoir des appels d´opérateurs mexicains tentant d´influer leur vote en faveur d´Henrique Capriles (5). 
Pour prétendre être vraiment démocratique, l´opposition vénézuélienne devrait respecter les principes de la démocratie électorale et ne pas se livrer à de telles manipulations pour orienter le vote des électeurs selon leurs peurs et leurs émotions.
Un programme ultra-libéral qui ne favorise pas la grande majorité des vénézuéliens
Les tactiques électorales de l´opposition visent surtout à éviter le débat rationnel autour de son programme néolibéral. Depuis l´élaboration du Plan Consenso país en 2004 jusqu´à la présentation de son programme commun en janvier 2012, l´opposition n´a eu de cesse de ressasser les théories de Milton Friedman : réduction du rôle de l´Etat et des dépenses publiques, licenciement de fonctionnaires, flexibilisation, privatisations des services publics, arrêt de la réforme agraire, abandon de la souveraineté monétaire et financière, dérégulation, ouverture du capital de PDVSA, l´entreprise pétrolière (6).
Comment conquérir démocratiquement l´électeur vénézuélien lorsque le projet idéologique de l´opposition repose sur le dogme néolibéral qui a coulé le pays dans la fin des années 80 ?
L´opposition est passé maître dans le mensonge et la négation de son programme de gouvernement. La consigne semble donnée : ne surtout pas parler de son projet politique et se concentrer sur de la propagande calomnieuse et sur les critiques du gouvernement bolivarien. Vous avez dit démocratique ?
Absence d´un leadership stable
Contrairement à ce qu´on pourrait croire, le consensus temporaire sur la candidature de Capriles Radonski ne le transforme pas en leader de l´opposition. D´une part, parce que son parti Primero Justicia n´est pas arrivé en tête des voix de l´opposition aux élections présidentielles (7) . Il est devancé par la Table de l´Unité Démocratique (MUD par ses sigles en espagnol) dominé par les partis traditionnels Acción Democratica (AD) et Copei. Nul doute que ces organisations politiques feront valoir cette préférence électorale lors de futures négociations internes. D´autre part, le parti d´Henrique Capriles dispose de peu de représentants à l´Assemblée Nationale, contrôle un seul Etat régional (8)  et très peu de mairies, à la différence des « vieux » partis de la droite vénézuélienne (9) . Avec une si faible implantation nationale et le poids d´une défaite contre Hugo Chávez, il y a fort à parier que l´opposition se trouvera un autre candidat aux prochaines élections présidentielles.
Comme l´a souligné le président Hugo Chávez, « pourvu qu´après cette élection présidentielle, l´opposition entre dans un processus de révision et offre au Venezuela ce dont nous avons besoin : une opposition sérieuse et responsable avec qui nous pourrions débattre » (10)   .
Cherche opposition démocratique de toute urgence. Envoyez curriculum. Caracas, Venezuela.

Notes:

  (1) Comme Bandera Roja, Movimiento al Socialismo ou encore La Causa R.

  (2) Tel Acción Democratica, Un Nuevo Tiempo ou Podemos.

  (3) Le parti Copei s´inscrit dans la première catégorie et Primero Justicia, le parti de Henrique Capriles dans la mouvance la plus néolibérale.

  (4) Actuel Ministre de la Communication et Information.

   (5) “Alianza de Capriles con billonario Carlos Slim utiliza a Telmex para llamadas anti-chavistas a hogares venezolanos”, Aporrea, 02/10/12. http://www.aporrea.org/oposicion/n215360.html. Nous avons nous même reçu ce genre d´appel téléphonique.

  (6) Voir Romain Migus, “Comment habiller le libéralisme en progressisme au Venezuela, Mémoire des luttes, http://www.medelu.org/Comment-habiller-le-liberalisme-en, ou encore Romain Migus, El programa de la MUD, Caracas: ed. Barrio Alerta, 2012 (en espagnol): http://www.infocentro.gob.ve/_galeria/archivo/2/documento_672_El_programa_de_la_MUD.pdf 

  (7) Au Venezuela, on peut voter pour un candidat selon les partis qui le soutiennent. Il y avait ainsi 30 façons de voter pour Capriles et 12 pour Hugo Chávez.

  (8) Le riche Etat du Miranda où Capriles Radonski est candidat à sa propre succession lors des élections du 16 octobre 2012.

  (9) AD est le premier parti d´opposition à l´Assemblée Nationale avec 22 députés. Primero Justicia, n´en a que 6.

  (10) Voir http://www.youtube.com/watch?v=snWsN4lcmhM&feature=player_embedded (min. 2´11)