Les pionnières de la nouvelle éducation

« Professeur, un enfant a été enlevé dans le quartier !
— Comment donc expliqueriez vous à un enfant de se méfier sans le traumatiser ?, répond le professeur Eduardo Espinoza. »

Nous sommes avec un groupe de jeunes filles sympathiques du barrio 23 de enero. Le nom de leur groupe en dit long sur leur ambition : les pionnières de la nouvelle éducation. Non seulement elles veulent participer au changement du système éducatif vénézuélien mais en plus ouvrir le chemin de cette transformation.

Pour comprendre la nécessité de ce changement, il nous suffit d’écouter le témoignage de Gabriela : « Avant nous étions exclus du système d’enseignement. Pour étudier, il fallait avoir une position sociale élevée, ça coûtait cher…dans mon cas, j’ai commencé à étudier à l’université mais j’ai dû m’arrêter parce que je ne pouvais plus payer et mes parents ne pouvaient pas m’aider. J’ai tenté d’entrer dans d’autres universités, mais elles m’ont toutes fermé leurs portes. »


Toutes les autres « pionnières » acquiescent à ses paroles. Son témoignage a réveillé des souvenirs de semblables expériences douloureuses d’exclusion sociale. Pour remédier à cette injustice et permettre à Gabriela et ses amis d’intégrer un cursus universitaire, le gouvernement a créé la Mission SUCRE . Dans le cadre de cette mission, quatre nouvelles universités furent créées pour accueillir les étudiants nécessiteux.

Mais l’objectif de la mission Sucre ce n’est pas seulement d’attirer de nouveaux étudiants, mais bien de déplacer le centre du savoir universitaire vers les besoins réels des vénézuéliens. C est l’objectif de la « municipalisation de l’éducation. »

Par ce moyen la Mission Sucre se développe comme un ample mouvement de mobilisation sociale garantissant la participation de toutes et tous au savoir, à la connaissance et à la construction de la citoyenneté. Les cours délivrés à l’université se doivent d’avoir une pertinence sociale et une application directe pour les personnes vivant dans le quartier des étudiants.

Dans le cas de nos pionnières, ce qu’elles apprennent à l’université est dans le même temps mis en pratique pour la partie du 23 de enero dont elles dépendent. Sous la direction du professeur Eduardo Espinoza, elles cherchent ensemble les moyens les plus appropriés pour appliquer leur savoir.

« L’Université et le système éducatif doivent aller vers les gens, doivent inclure la base. Mais ce ne peut être un système imposé d’en haut, par l’Etat. Ici nous participons directement aux problèmes du quartier…comme le problème des rapts d’enfants par exemple. Nous nous inspirons des problèmes du quartier, de nos propres problèmes pour éduquer les enfants. Nous ne pouvons attendre que se soit le Maire, le gouvernement ou même Chávez qui résolvent nos problèmes, nous devons y faire face nous mêmes, au sein des structures qu’ils nous procurent » nous explique le professeur des pionnières.

Il est bien question d’intégrer une véritable praxis révolutionnaire au sein du système éducatif vénézuélien. « Nous apprenons en le faisant » nous dit Roselyne déterminée à participer à cette transformation. Ce qui est appris a l’université n’est qu’une des facettes du savoir qui s’enrichit au sein du groupe ainsi que dans les écoles où elles sont observatrices. Suivant l’enseignement rabelaisien, la Mission Sucre a pour projet d’établir une « science dotée d’une conscience sociale », c’est à dire de rompre avec l’enseignement traditionnel, qui isolait le savoir de la pratique sociale.

Comme nous l’illustre le professeur Espinoza : « Nous ne sommes pas seulement des professeurs mais des citoyens dotés d’une nouvelle conscience solidaire. Les formateurs du 23 de enero n’ont pas les mêmes besoins que les formateurs Yanomami , eux ils doivent apprendre à pêcher, ici on n’a pas besoin de pêcher, ce n’est pas un besoin primaire dans notre quartier. La réponse éducative aux demandes du Peuple doit tenir compte des aspects généraux et particuliers. »


Anaïs nous confirme cette orientation sociale de la Mission Sucre : « Notre objectif est de changer l’éducation. Nous observons dans les écoles en fonction de ce que nous apprenons pour pouvoir améliorer l’éducation de nos enfants. A l’université ils nous donnent la théorie, et ici nous appliquons la pratique en même temps. Ce n est pas comme avant où on étudiait cinq ans pour faire notre premier cours. »

Ce changement radical s’accompagne par un questionnement sur les bases du savoir qu’elles vont donner. Il s’agit ici d’une véritable réappropriation de l’histoire nationale. « Avant on ne nous enseignait rien sur Simon Bolivar, ou Simon Rodriguez. Je ne savais même pas qu’il avait changé de nom ou ce qu’il avait fait » nous dit Jamile en riant. Apres 503 ans passés à se voir avec les yeux des autres, comme dirait l’écrivain uruguayen E. Galeano, le Venezuela commence à se voir avec ses propres yeux.

Les pionnières ne sont pas seules, 457.653 étudiants étudient dans le cadre de la mission Sucre. L’État a distribué, pour l’année 2004, 76.450 bourses d’études, c’est à dire qu’un étudiant sur six bénéficie des aides du gouvernement bolivarien.

C’est à une véritable révolution des structures du système éducatif à laquelle s’attachent le gouvernement bolivarien et les organisations de bases, pour que chacun puisse étudier dans son environnement.
Armées de persévérance, les pionnières de la nouvelles éducation entreprennent la destruction de la tour de d ivoire qui, bien souvent, entoure le savoir, pour que ce savoir libéré puisse conquérir une utilité sociale, améliorant la qualité de vie de tous les vénézuéliens et du Venezuela bolivarien.