La crise politique et institutionnelle profonde que traverse le Venezuela ne date pas d’hier. Dès sa victoire aux élections législatives de 2015, l’opposition a comencé à élaborer des mécanismes pour renverser le président Maduro. Alternant les moyens pseudos légaux avec des épisodes insurrectionnels, l’anti-chavisme s’est d’emblée écarté d’une situation -inédite- de cohabitation politique pour s’engager sur les voies tortueuses des raccourcis antidémocratiques.
Cette stratégie, qui a eu des effets désastreux sur l’institutionnalité du pays et des conséquences calamiteuses pour la population, a abouti presque logiquement à la tentative de coup d’État institutionnel, mis en place par les États-Unis et leurs alliés puis appliqué par Juan Guaido.
Au lendemain de sa victoire aux législatives en 2015, les quatre grands partis d’opposition (Acción Democratica, Primero Justicia, Un Nuevo Tiempo et Voluntad Popular) tombèrent d’accord pour se partager le perchoir. Une présidence tournante de l’Assemblée Nationale fut mise en place pour donner à chaque parti du G4 le pouvoir de contrôler le pouvoir législatif durant un an.
La lente mise en place de la stratégie états-unienne
En mai 2016, conscient de l’impasse dans laquelle la cohabitation inédite avait plongé le pays, le gouvernement de Nicolas Maduro s’engagea dans un processus de négociation sous la médiation de l’ancien président du gouvernement espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero, de l’ex-président de la République Dominicaine, Leonel Fernandez et de l’ex-président du Panama, Martin Torrijos.
En janvier 2018, cette série de 150 rencontres tenues en République Dominicaine va aboutir à la rédaction d’un accord portant sur la convocation à une élection présidentielle anticipée ainsi que sur ses garanties électorales.
Mais, alors que la plupart des revendications de l’opposition avait été concédées par le gouvernement bolivarien, les dirigeants antichavistes vont faire volte-face au dernier moment. « Tout était prêt [pour la signature de l’accord] jusqu’au pupitre où nous devions faire nos déclarations officielles » déclarera Jorge Rodriguez, alors à la tête de la commission de dialogue pour le gouvernement.
« Dans l’après-midi, Julio Borges, l’ancien président de droite de l’Assemblée nationale, a reçu un appel téléphonique de la Colombie de l’ancien secrétaire d’État US, Rex Tillerson (…) L’opposition nous a alors annoncé qu’elle ne signerait pas l’accord ». De retour à Caracas, José Luis Rodriguez Zapatero a envoyé une lettre à l’opposition pour lui demander quelle était son alternative dès lors qu’elle refusait de participer à une élection présentant les garanties sur lesquelles elle avait elle-même travaillé. D’alternative, il n’y en aura point, car les États-Unis ont un agenda propre qui ne passe pas la communion démocratique.
Malgré le torrent de fake news à ce sujet, le Venezuela dispose d’un système électoral extrêmement sûr et démocratique. Dans les jours précédant l’élection, Le Centre National Electoral (CNE), organe recteur du pouvoir électoral, convoque tous les partis politiques participants à l’élection à une série de 14 audits préalables. Ainsi, sont mis à l’épreuve les listes d’électeurs, le logiciel utilisé pour la collecte des données électorales, les machines à voter ainsi que leur mode d’assemblage, le système biométrique de reconnaissance des électeurs, l’encre indélébile, le réseau de transmission des données électorales ainsi que le système de totalisation des données. Des observateurs de chaque parti politique participent à ces différents audits précédant le vote des citoyens. Chaque étape doit être approuvée préalablement par tous les participants pour assurer la plus grande transparence de l’élection. Autrement dit, lorsqu’un parti politique participe à une élection, ses représentants signent les procès-verbaux des audits, et valident ainsi la transparence du système électoral l’élection. La participation à l’élection présidentielle aurait immanquablement ratifié internationalement la victoire du président Maduro. Les USA n’allaient pas se risquer à recevoir un pareil camouflet.
L’opposition radicale prend le pouvoir
Conformément à l’accord entre les partis du G4, le pouvoir législatif est revenu début 2019 au parti Voluntad Popular, dont le leader Leopoldo Lopez a été condamné pour sa responsabilité dans les violences insurrectionnelles de 2014.
Remarqué par les États-Unis depuis ses études à la Kennedy School of Government de l’Université de Harvard, Leopoldo Lopez est un personnage historique de l’antichavisme radical. Il participera activement au coup d’État contre Hugo Chávez en 2002, et à toutes les aventures anti-démocratiques de l’opposition. De manière générale, il fait de la confrontation violente avec le gouvernement bolivarien sa signature politique.
Décrit comme « arrogant, vindicatif et assoiffé de pouvoir » dans des câbles diplomatiques étasuniens, il a été expulsé de plusieurs formations politiques comme Primero Justicia et Un Nuevo Tiempo, avec qui il entretient des rapports tendus. En 2009, il fonde son parti Voluntad Popular qui devient l’organisation principale de l’opposition extrémiste. Celle pour qui le renversement du chavisme justifie tous les moyens utilisés.
Conscient que les divisions de l’opposition ne favorisent pas une victoire par les urnes. Les États-Unis projettent dès 2018 le renversement de Nicolas Maduro, en sachant que leur meilleur allié allait occuper la présidence de l’Assemblée Nationale. D’où la nécessité de faire capoter les accords pré-signés en République Dominicaine.
Pour occuper le perchoir, Lopez va réaliser un choix surprenant. Rodé aux traquenards et aux trahisons politiques, il passera outre la hiérarchie de son parti pour jeter son dévolu sur un muchacho sans grande expérience, élu député de justesse. Le jeune en question possède d’autres « qualités ». A la différence de Leopoldo, il ne fait pas parti de l’oligarchie vénézuélienne -il est donc sacrifiable- et son inexpérience promet de ne pas faire d’ombre à son mentor. Voluntad Popular présentera donc Juan Guaido à la présidence de l’Assemblée Nationale, et comme figure médiatique du plan macabre qui se prépare alors en coulisse.
L’opération Guaido
Le 5 janvier 2019, le député Guaido assume la présidence du pouvoir législatif. Dans son discours inaugural, il fait déjà état des différentes étapes insurrectionnelles qui vont entacher le pays pendant plusieurs mois. Le 23 janvier, au détour d’une rue, il s’auto-proclame « président par intérim », immédiatement reconnus par les États-Unis, les pays de l’Union européenne (à l’exception de la Grèce, à l’époque) et une poignée de gouvernement de droite de la région.
L’Assemblée nationale devient alors l’épicentre politique d’une guerre institutionnelle. Le pouvoir législatif approuve illégalement des « Statuts pour la transition démocratique ». Selon le chapitre 3, paragraphe 14 de ce document « le président de l’Assemblée Nationale devient le légitime président de la République Bolivarienne du Venezuela ». Détail qui va prendre une importance capitale.
Les États-Unis réitèrent ainsi une stratégie déjà utilisé en Libye et en Syrie : la constitution de pouvoirs parallèles. A la présidence fantoche de Guaido s’ajoute une Cours Suprême parallèle (depuis le Panama), une procureure générale parallèle (depuis la Colombie). Dans les semaines qui suivent, l’opposition essaiera en vain de monter une armée parallèle mais ils se heurteront à la fidélité des forces armées bolivariennes à la Constitution et à leur Commandant en chef, Nicolas Maduro.
Grâce à l’opération Guaido, va s’organiser une opération de pillages des actifs de la République Bolivarienne du Venezuela. Prétextant la reconnaissance de cette présidence parallèle, des entreprises publics vénézuéliennes vont être confisquées, des comptes bancaires de la nation gelés par des banques internationales, des réserves d’or spoliées. Juan Guaido devient le prête-nom d’une entreprise de spoliation des richesses du Venezuela.
Ce pillage organisé se double d’une recrudescence criminelle du blocus mis en place dès décembre 2014. A la demande de Guaido, le Peuple vénézuélien subit de plus en plus les conséquences des mesures coercitives unilatérales des États-Unis. Exclusion des systèmes bancaires et financiers internationaux, impossibilités ou difficultés pour la nation caribéenne de s’approvisionner en aliments, médicaments, pièces de rechange pour l’industrie, combustible, persécution internationale de tous les acheteurs du pétrole vénézuélien. Comme l’avouait l’ancien conseiller à la Sécurité Nationale des États-Unis, John Bolton, lors d’une interview à la chaine Univision : « Ce que les États-Unis font au Venezuela, c’est comme dans Star Wars, lorsque Darth Vador étrangle lentement quelqu’un ».
Parallèlement, six opérations militaires et tentatives de coup d’État vont être lancées contre la Nation vénézuélienne durant l’année 2019. L’opération Gédéon, et le débarquement de mercenaires, au mois de mai 2020, fera encore augmenter les violences d’un cran.
Vers le dénouement de la crise politique au Venezuela ?
La « présidence » virtuelle de Juan Guaido a marqué un aboutissement dans la stratégie de la tension au Venezuela depuis l’élection parlementaire de 2015. L’Assemblée nationale a été, pendant cinq ans, le centre opérationnel où les apprentis sorciers de l’opposition ont concocté toutes sortes de stratagèmes anti-démocratiques : tentative de jugement politique au président Maduro en 2016, épisode insurrectionnel des Guarimbas en 2017, approbation du Traité Interaméricain d’Assistance Réciproque (TIAR) dans le but de déclencher une offensive militaire étrangère contre le pays (2019), demande de recrudescence de l’infâme blocus, et tentative de coup d’État institutionnel. Au fur et à mesure de leurs échecs, de nombreux députés de l’opposition ont même franchis un pas supplémentaire prenant part directement à l’organisation des opérations militaires contre l’État vénézuélien.
Les élections législatives du 6 décembre 2020 représentent donc une opportunité historique de fermer démocratiquement un cycle de violences et de confrontations ouvert depuis 2015. Plus qu’un simple choix de députés, ce scrutin parlementaire est la possibilité offerte au Peuple vénézuélien de plébisciter un retour à la normalité constitutionnelle et démocratique. Au-delà de s’exprimer pour un candidat chaviste ou de l’opposition, le citoyen vénézuélien aura la possibilité de sanctionner dans les urnes les errances anti-démocratiques d’une frange minoritaire de l’opposition. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’isoler les éléments putschistes de l’échiquier politique vénézuélien, et réunir la population autour d’un consensus démocratique commun.
D’ores et déjà, plusieurs politiciens d’opposition, et non des moindres -tel que l’ancien candidat à la présidentielle, Henrique Capriles- ont fait connaitre leur intention de légitimer la démocratie électorale et de renforcer l’institutionnalité de l’État vénézuélien. Quel que soit le résultat au soir des résultats, l’État et la démocratie vénézuélienne seront les grands gagnants de cette élection.
Toutefois, cette préoccupation nationale est loin d’être une sinécure. De trop nombreux acteurs s’oppose encore à cette solution pacifique. Leopoldo Lopez, Juan Guaido et leurs partisans, même minoritaires, continuent de s’opposer à une solution par les urnes. Vu les enjeux financiers, il ne pourrait en être autrement. En effet, les membres de cette faction se rétribuent largement du rôle que leur a assigné les États-Unis : détournement de l’argent humanitaire, financement par des fondations étrangères, participation active au pillage des actifs du Venezuela, corruption, racket, liens avec les cartels narco-paramilitaires colombiens. Les membres du Gang de Guaido ne savent que trop bien qu’une défaite électorale les éloignerait pour toujours du magot.
Au niveau international, mettre fin à la présidence virtuelle de Guaido, c’est sonner le glas du pillage dont tirent profits de nombreux pays occidentaux et certaines banques internationales. Les États-Unis ont déjà déclaré qu’ils ne reconnaitriat par le résultat des urnes. Le 4 août 2020, par la voix d’Elliot Abrams, envoyé spécial de Washington pour le Venezuela, les USA passèrent outre les « statuts de transitions » illégaux qui confèrent au président de l’Assemblée Nationale le statut imaginaire de « président intérimaire », et déclarèrent que « cette élection ne changera rien à la condition de Guaido« . L’homme de main de Leopoldo Lopez est donc bombardé « président à vie » par la puissance impériale sans que cela n’émeuve un système médiatique qui, habituellement, s’emballe lorsqu’un politicien progressiste cherche à se faire réélire.
L’Union européenne, qui peine à se démarquer diplomatiquement des États-Unis, adopte une ligne plus ambigüe. Josep Borell, haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a déclaré le 11 aout 2020, quelques jours après le sacre de Guaido par les États-Unis que « les conditions pour un processus électoral transparent, inclusif, libre et équatif ne sont pas réunies au Venezuela ». Toutefois, l’entité supranationale maintient un canal de négociation avec le gouvernement bolivarien ainsi qu’avec la frange démocratique de l’opposition. L’UE devra donc trancher entre aider le Venezuela à retrouver une normalité institutionnelle et son suivisme dans la politique extérieure des États-Unis.
Le rendez-vous est donc pris pour le 6 décembre 2020. Compte tenu des enjeux, l’élection vénézuélienne ne manquera pas de devenir l’évènement géopolitique (et médiatique) majeur de cette fin d’année.
Prochaine partie : De nouvelles garanties électorales